« On s’est promis que ça n’aurait pas de fin, qu’on ouvrirait des lieux en veux-tu en voilà, qu’on s’y retrouverait toujours, qu’on y rassemblerait, avec d’autres naufragés du béton, les plus fiers équipages de pirates. […] Dans les ministères de la parole publique, on refuse de comprendre ce qui se joue durant ces nuits. On reprend, pour la répandre une fois encore, l’image indécrottable et bien commode du casseur opportuniste. »
C’est dans la nébuleuse autonome que se recrute une partie des activistes contre les grands_projets_inutiles ou contre la loi Travail. Ce livre aurait pu s’appeler « Dans la tête d’un zadiste ». Il témoigne de la résolution et de l’imaginaire d’une génération qui a choisi les marges pour tenter de réinventer un monde à la hauteur de ses exigences. Il permet de saisir un peu de la représentation du monde de cette jeunesse en lutte radicale contre la societe néolibérale.
On y trouvera un peu de ce que Cosma Salé a appris : à respirer et à sentir, à créer et à bâtir contre l’ennui. De la zad de Notre-Dame-des-Landes ou du Testet à la cuisine d’une maison occupée, d’une cabane dans les bois au tissu urbain des squats, on y éprouvera peut-être un peu de la fièvre et de l’enthousiasme, de la magie et de l’exil de sa génération.
C’est un petit traité sur l’esquisse des marges, un manuel d’usage du monde libre, les fragments d’un imaginaire qui a désormais sa dynamique propre.
« Je rentre à la Gaieté tout frigorifié de brume ». Jolie phrase, qui fait rêver… Cette Gaieté est un des nombreux lieux-dits de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. La brume a l’habitude de se promener dans le bocage humide de la ZAD. Tout comme l’auteur, Cosma Salé (c’est un pseudo), qui dans « »Chroniques de la zone libre » », nous raconte ses années d’arpentage des ZAD, de Notre-Dame-des-Landes au barrage du Testet en passant par la forêt de Chambaran. Ce zadiste est un poète. Un rêveur qui appartient à une génération qui n’a pour horizon que chômage et boulots précaires. Plutôt que de se morfondre entre deux pointages à Pôle emploi, il s’est fait, en compagnie de ses pairs, arpenteur de désordres et tranquille insoumis : « Nous pratiquons l’art du déplacement de squat en squat, de campement autogéré en lieu de résistance, de tribu en tribu. Il y a toujours quelque part, à portée de semelles, un endroit où trouver refuge, une zone où détrôner l’État. Il y a toujours un feu pour se réchauffer, une gamelle à partager, un lit où dormir, une cabane où s’abriter. »
Le canard enchaîné
Ce texte, écrit comme un carnet de route, de ZADs en squats, de combats en vagabondages, nous emporte dans la lutte menée aujourd’hui par une frange de la population contre ces grands_projets_inutiles, contre un mode de vie qui ne convient plus. Un texte très littéraire, fait d’impressions, de souvenirs, pour mieux appréhender la réalité de ces vagabonds modernes.
Librairie Terre des livres, Lyon
Son propos n’est pas qu’un témoignage : il est avant tout d’ordre politique, aux antipodes des discours officiels et des consentements collectifs. Une contribution poétique et subversive aux diverses tentatives « utopiques », qui, loin des lieux de pouvoir et de décision, apparaissent depuis quelques années en Europe : micro-communautés gérées dans les campagnes, squats dans les villes, occupations plus ou moins « sauvages » des zones… Et, surtout, désir d’inventer d’autres façons de vivre ensemble sans tomber dans les pièges du dogmatisme, du messianisme et de ce faux humanisme qui, au lieu de les supprimer, aménage la misère sociale, les destructions environnementales et les comportements consuméristes. Magnifiquement écrites, ces chroniques invitent chacune et chacun à s’emparer de l’histoire, ici et maintenant, ne serait-ce que pour éviter d’en être les perdants.
Témoignage chrétien