Lors de son voyage aux États-Unis, en 1831, Alexis de Tocqueville se lance dans une excursion qui, de New York, le conduit à Saginaw, « le dernier point habité par les Européens au nord-ouest de la vaste presqu’île du Michigan ». Un périple de près de 1 000 kilomètres, dont les 400 derniers en territoires à peine défrichés par les pionniers. Ce récit rarement publié en raconte les étapes et Tocqueville s’y montre un observateur lucide et attentif aux transformations brutales du Nouveau Monde sous les coups de boutoir de la « civilisation européenne ».
Ce récit est suivi d’un texte intitulé Le voyage d’Amérique par Gustave de Beaumont, l’ami et compagnon de voyage de Tocqueville. Un an après la mort de l’écrivain, Beaumont s’y livre à une évocation des circonstances de l’expédition que les deux hommes menèrent jusqu’à Saginaw et dresse un portrait ému du « voyageur » Tocqueville. Il y mentionne aussi l’existence d’un court texte, relatant une brève excursion que les deux voyageurs entreprennent quelques jours avant leur départ pour Buffalo, mais qui n’est pas racontée dans Quinze jours au désert. Ce texte s’intitule Course au lac Oneida. Nous le publions également à la suite.
« Nous nous demandions par quelle singulière loi de la destinée, nous, qui avions pu marcher dans des déserts de fabrique humaine, nous, enfants d’un vieux peuple, nous étions conduits à assister à l’une des scènes du monde primitif, et à voir le berceau encore vide d’une grande nation. Dans peu d’années ces forêts impénétrables seront tombées, le bruit de la civilisation et de l’industrie rompra le silence de la Saginaw. Son écho se taira. Des quais emprisonneront ses rives. Cinquante lieues séparent encore cette solitude des grands établissements européens – et nous sommes peut-être les derniers voyageurs auxquels il ait été donné de la contempler dans sa primitive splendeur. Tant est grande l’impulsion qui entraîne la race blanche vers la conquête entière du Nouveau Monde ». Alexis de Tocqueville
« Assurément, les quinze jours au désert ont été très révélateurs pour Tocqueville. Pour nous, qui en lisons le récit près de deux siècles plus tard, les observations de Tocqueville quant au sort de la nature, au destin des autochtones, aux caractéristiques de la nation américaine et des États-Unis d’aujourd’hui apparaissent à la hauteur de la lucidité dont témoigne son oeuvre majeure De la démocratie en Amérique ». Claude Corbo